St MAUR / 3 décembre 2024 / JP ROCHE(1)
UN SYNODE QUI DECOIT ? UN SYNODE QUI ENVOIE ?
I/ Nous avons quelques raisons d’être déçus tellement nous avions espéré :
1-La lettre au Peuple de Dieu (août 2018). Face à la crise des abus sexuels dans l’Eglise, le pape décide de s’adresser à tout le peuple de Dieu pour dénoncer ce qui lui parait la cause de cette grave crise : le cléricalisme, comme déformation très grave de l’exercice de l’autorité dans l’Eglise.
2-Un synode sur la synodalité : Dans la même ligne, le Pape François lance en 2021 un nouveau processus qui va durer plusieurs années, un « synode sur la synodalité » ??? Le mot est inconnu de mon ordinateur ! Il s’agit de passer d’une église trop cléricale à une église plus synodale. Synodal s’oppose donc à clérical. Or, qu’est-ce que le cléricalisme ? Dans la société, c’est le pouvoir des clercs : voyez l’Iran et ses ayatollahs. Dans l’Eglise, c’est pareil : une église cléricale, c’est une église qui ne repose que sur les prêtres, où les prêtres décident de tout. Définition de Vatican I (1870) : « L’Eglise est une société inégale dans laquelle Dieu a destiné les uns à commander, les autres à obéir. Ceux-ci sont les laïcs, ceux-là les clercs. » Pour vivre sa mission aujourd’hui comme pour combattre les abus de pouvoir, l’Eglise doit sortir de ce cléricalisme, ce qu’elle a commencé à faire à Vatican II (voir Lumen Gentium n° 32)
3- Ce synode sur la synodalité avait trois sous-titres : communion, mission, participation. Ce qui était nouveau, c’est la participation ! Synode, ça veut dire marcher ensemble. Pas seulement quelques-uns, mais tous ! La participation de tous, c’était déjà le mot d’ordre de la réforme liturgique de Vatican II. Et quand j’étais à Créteil, j’aimais l’église sous-terraine de St Pascal Baylon où une banderole rappelait : « La mission est l’affaire de tous ! ». Dans l’Eglise catholique, on savait ce qu’était les Conseils : conseils paroissiaux, conseils pastoraux, conseils presbytéraux, conseils économiques… On est bon sur les quelques-uns mais sur le TOUS, c’est autre chose.
4- Une consultation de tout le peuple de Dieu : C’était une première. Déjà, le pape François avait réformé le synode des évêques en élargissant la consultation préalable à tous les chrétiens pour le synode sur la famille. Mais cela avait mobilisé les réseaux concernés. Là, le pape lui-même pose dix questions à tous les catholiques du monde. Mobilisation générale… Enfin, pas partout, mais quand même. J’ai participé à quatre rencontres synodales où à quelques-uns, on nous fait réfléchir à une expérience positive de marche ensemble et une expérience négative, puis d’en tirer des suggestions pour la vie de l’Eglise. De quelle Eglise rêvez-vous ? On nous a fait rêver !
5- On retrouve le souffle de Vatican II ! On s’appuie sur trois acquis du Concile : l’Eglise peuple de Dieu, le sacerdoce commun des fidèles, le sensus fidei fidelium (le sens de la foi des fidèles). C’est la réception de Vatican II qui reprend.
6- Le syndrome des synthèses : Vous savez ce que c’est qu’une synthèse. Synthèse de carrefour, synthèse des débats… vous y retrouvez rarement vos petits, c’est-à-dire vos expressions. Et pourtant ! Même si je fais partie de ceux qui n’ont pas retrouvé leurs suggestions dans la synthèse diocésaine, j’avoue avoir été heureusement surpris par la synthèse nationale, d’abord, puis par la synthèse des synthèses ! Pourquoi ? D’abord parce que les évêques de France ont fait le choix de transmettre à Rome la synthèse réalisée en France, avec une lettre d’accompagnement : il y avait donc l’expression du peuple de Dieu et le commentaire des évêques. Ils n’ont rien censuré, mais ils ont remarqué que l’ont avait peu de réponses venant des jeunes, des pauvres et des milieux les plus traditionnels. C’était vrai. Quant à la synthèse des synthèses, au niveau mondial, elle manifestait évidemment une grande diversité, mais ce qui étonnait, c’est que les changements attendus étaient les mêmes sur tous les continents ! En particulier, la place des femmes et la priorité aux pauvres.
7- Un synode d’évêques où des femmes ont droit de vote ! Avant que se réunisse la première session du Synode des évêques à Rome, François pend une décision totalement inédite, absolument inattendue. Si c’était le Synode allemand qui avait décidé cela… (Au Synode allemand, il y a deux collèges : celui des évêques et celui des autres baptisés). François nomme 70 membres du Synode qui ne sont pas évêques dont la moitié de femmes, avec droit de vote. Il y a là des prêtres, des diacres, des religieuses, des laïcs hommes et femmes. Contrairement à tous les conseils qui sont consultatifs, le synode, lui, est une instance délibérative. C’est un peu stupéfiant car le synode épiscopal devient un synode ecclésial, et des simples baptisés partagent le pouvoir des évêques : leurs voix comptent autant que celles des cardinaux ! C’était comme un signe qu’on est bien passé de la collégialité épiscopale à la synodalité de tout le peuple de Dieu. Cette audace dans l’innovation laissait entrevoir tous les espoirs… de changements.
8 – Les tables rondes. Mais ce n’est pas tout : l’ouverture du Synode est marquée par une autre innovation tout aussi spectaculaire, et même plus car c’est une image : la grande salle Paul VI qui réunit les Pères (et les Mères) synodaux est réorganisée en tables rondes où on retrouve autour de chaque table la diversité non seulement géographique (les 5 continents) mais la diversité des vocations et des fonctions : des évêques, des hommes et des femmes… en tenue de ville.
C’est dire si on attendait beaucoup de ce Synode et si on pouvait légitimement être déçus. Pourquoi ? On nous a fait rêver, on nous a demandé quelle église on voulait, on a vu beaucoup de changements symboliques, et tous ceux qui attendaient des réformes se sont aperçus que ce n’était pas pour tout de suite. Cela a pu en rassurer d’autres qui prédisaient la destruction de l’Eglise ou au moins sa « protestantisation » !
9- Un signal d’alerte : la tension avec le chemin synodal allemand. En marge du synode romain, ce qui s’est passé en Allemagne était le signe avant-coureur que le temps des réformes n’était pas encore venu. J’avais été impressionné par la qualité du dialogue entre les évêques allemands et les forces vives catholiques à propos de quelques réformes très concrètes et attendues dans des pays comme le nôtre, mais ils ont été sévèrement rappelés à l’ordre par le pape lui-même et par sa garde rapprochée. Cela laissait peu d’espoir…
10- Le recentrage sur la synodalité :
Que s’est-il passé ? C’est un cardinal luxembourgeois, rapporteur au Synode, qui nous explique : Certaines personnes attendent que ce synode change les choses. Ce n’est pas le but du synode. Le but c’est la synodalité. Je suis sûr que l’Église, dans les dix à vingt ans qui viennent, devra prendre beaucoup de décisions. Ce que nous mettons maintenant en place, c’est une manière de prendre ces décisions, ensemble, où tous participent. » (Cardinal Hollerich).
Le Synode sur la synodalité – que certains avaient rebaptisé « synode sur l’avenir de l’Eglise » – s’était recentré sur son sujet : la synodalité, c’est-à-dire une manière de faire Eglise et de prendre des décisions.
Toutes les questions difficiles et attendues (l’ordination diaconale des femmes, le célibat des prêtres, le discours sur la sexualité…) étaient confiées à dix groupes de travail qui doivent faire des propositions… après le Synode.
II/ Nous avons aussi quelques bonnes raisons de rendre grâces :
Maintenant, je voudrais essayer de vous dire pourquoi, malgré cette déception, j’ai envie de rendre grâces. Ou, si vous préférez, je vais vous montrer le verre à moitié plein après avoir évoqué le verre à moitié vide… 6 points
1- Le maître-mot de la synodalité, ce n’est pas convaincre mais écouter ! Parce que synode, cela veut dire marcher ensemble, cela veut dire qu’on ne peut pas en laisser 30 % sur le bas-côté. Une Eglise synodale est une Eglise qui écoute : elle écoute la parole de Dieu, elle écoute la parole des autres, pour discerner ce que l’Esprit dit aux Eglises. Et il ne dit pas forcément la même chose à toutes les Eglises… Nous allons tous avoir à vivre une conversion pour passer du désir de convaincre au désir de chercher avec d’autres – différents – le bien commun de l’Eglise et de la mission.
2- L’Eglise ne veut pas à être synodale pour elle-même, mais pour le monde, pour mieux vivre sa mission dans le monde. L’Eglise est synodale pour être missionnaire. Car une Eglise cléricale ne dit rien au monde d’aujourd’hui qui est un monde où chacun peut prendre la parole pour dire ce qu’il vit et pense. Mais justement, nous sommes obligés de constater que, dans la société, comme dans l’Eglise, les gens ont vraiment du mal à se parler quand ils ne sont pas d’accord ! En devenant plus synodale, l’Eglise peut rendre service au monde, et plus particulièrement à la démocratie qui est bien malade.
2- Une expérience extraordinaire : Tous les participants des deux sessions l’ont dit : ce synode les a bouleversés et transformés. Ils ont fait une expérience de fraternité universelle, de communion ecclésiale qui alliait l’unité et la diversité. La synodalité, vous en serez les défenseurs, les militants, quand vous en aurez fait l’expérience. (Et vous l’avez peut-être déjà faite !) Et, si vous en avez déjà fait l’expérience, vous voudrez la partager et la proposer. Voilà pourquoi la meilleure manière de proposer la synodalité à votre paroisse, à votre service, à votre mouvement, à votre équipe, c’est de lui proposer de la vivre, d’en faire l’expérience.
3- La « conversation dans l’Esprit » : c’est la méthode du synode et nous pouvons l’adopter pour toutes nos réunions où nous devons discuter d’une question concernant la mission de l’Eglise. La conversation dans l’Esprit se vit en trois temps précédés de silence et de prière. Après une préparation personnelle où chacun réfléchit à la question posée, en se mettant à l’écoute de l’Esprit et de l’Evangile, un premier tour de table donne la parole à chacun, sans être interrompu. Puis, après un temps de silence et de prière, on fait un deuxième tour de table où chacun dit ce qu’il a reçu des autres – c’est-à-dire ce qu’il retient de ce qu’on dit les autres. Enfin, après un nouveau temps de silence et de prière, on cherche ensemble le consensus le plus large et qui tienne compte au mieux de tous les avis exprimés.
5- On ne part pas de zéro. L’Eglise n’a pas attendu le pape François pour être un peu synodale. Rappelez-vous notre synode diocésain, l’élection des délégués des paroisses au cours d’une messe dominicale… Déjà dans notre diocèse, plusieurs décisions ont été prises qui vont dans le bon sens. J’en signale trois :
- la nomination dans chaque paroisse d’un(e) vice-président(e) d’EAP qui évite que le curé décide seul du contenu des réunions d’EAP ;
- la décision de faire une assemblée paroissiale chaque année pour débattre de ce qu’on a vécu et des projets à vivre pour être plus missionnaire ;
- la décision de consulter tous les paroissiens pour qu’ils donnent des noms de personnes qu’on pourrait appeler à l’EAP.
- Et, plus largement, il y a sept évêques en France qui ont nommé une femme déléguée générale du diocèse, partageant la même responsabilité que le vicaire général.
+ Enfin, nous avons un dernier motif de rendre grâces, c’est que François a pris la décision inédite de renoncer à faire une exhortation apostolique six mois après le synode en décidant que le document final qu’il a approuvé avec tous les membres du synode, constituait un acte du Magistère et qu’il ne voyait pas quoi y ajouter. Il n’y a plus le synode d’un côté et le pape de l’autre, mais le synode avec le pape. On est d’autant plus surpris que la traduction française de ce document se soit fait attendre dix jours, et qu’il ne porte (pour l’instant) pas d’autre titre que « document final » mais c’est le titre du synode qu’il portera sans doute : Pour une Eglise synodale missionnaire.
III/ EN CONCLUSION, que retenir ?
+ C’est un nouveau chapitre de l’histoire de l’Eglise qui s’ouvre : l’apprentissage d’une nouvelle culture, la culture synodale. Passer d’une Eglise cléricale à une Eglise synodale, cela ne décrète pas avec un vote. Notre pape aime les processus. Nous entamons un processus de réforme permanente comme le souhaitait Vatican II (ecclesia semper reformanda). L’Eglise n’est fidèle qu’en se réformant sans cesse pour se convertir à l’Evangile qu’elle annonce.
2- Le cléricalisme est une déviance grave de l’exercice de l’autorité dans l’Eglise. La synodalité est une manière d’exercer l’autorité dans l’Eglise qui est plus conforme à l’Evangile. Ce qui va changer, ce qui doit changer, et cela dépend de nous tous, c’est la manière d’exercer la responsabilité à tous les niveaux. On ne supprime pas l’autorité, on essaye de la vivre autrement. Cela demande une conversion des liens entre nous et une réforme des structures de gouvernance pour aller vers une « coresponsabilité différenciée » Tous responsables, mais chacun selon nos charismes et nos responsabilités. Tous responsables, mais pas au même titre ni de la même manière.
3- La principale conversion qui nous est demandée, c’est de passer de la volonté de convaincre à la capacité d’écouter. Voici comment c’est exprimé dans ce passage du document final (n° 42) : La pluralité des religions et des cultures, la multiplicité des traditions spirituelles et théologiques, la variété des dons de l’Esprit et des tâches dans la communauté, ainsi que la diversité des âges, des sexes et des appartenances sociales au sein de l’Église, constituent une invitation pour chacun à reconnaître et à assumer sa propre partialité, en renonçant à la prétention d’être au centre et en s’ouvrant à l’accueil d’autres perspectives. (Cf. la parabole de l’éléphant : personne ne le voit en entier, chacun n’en voit qu’un point de vue).
4- Une attention particulière est attachée au discernement ecclésial. Comment faire un discernement ecclésial qui soit vraiment synodal, c’est-à-dire qui soit l’affaire de tous ? L’écoute de la Parole de Dieu est le point de départ et le critère de tout discernement ecclésial. (n°83). Ensuite, le discernement ecclésial doit suivre un certain nombre d’étapes, exposées au n°84 :
- La présentation claire de l’objet du discernement, et les informations nécessaires.
- Le temps pour se préparer : prière et réflexion.
- Le temps d’une écoute mutuelle de la parole de chacun.
- La recherche d’un consensus le plus large possible… « sans chercher des compromis au rabais.
- La formulation du consensus et sa présentation à tous les participants pour voir s’ils s’y reconnaissent ou non.
- Donc, le synode, c’est maintenant. Je veux dire : c’est maintenant que tout commence. Nous attendions tout du synode. Il attend tout de nous. Il nous indique un chemin, il ne le fait pas pour nous. C’est à nous de le faire ; c’est comme une feuille de route. Je vous souhaite donc bon chemin ! Chemin synodal, bien sûr !
Mais pour vous encourager, je voudrais terminer en vous lisant un texte qui date de 1969. Je vous dirai ensuite quel est son auteur.
« De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres. Elle va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. (…)On peut raisonnablement penser que tout cela va prendre du temps. Le processus va être long et fastidieux. (…) Mais quand les épreuves de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. Les hommes évoluant dans un monde complètement planifié vont se retrouver extrêmement seuls. S’ils perdent totalement de vue Dieu, ils vont réellement ressentir l’horreur de leur pauvreté. Alors, ils verront le petit troupeau des croyants avec un regard nouveau. Ils le verront comme un espoir de quelque chose qui leur est aussi destiné, une réponse qu’ils avaient toujours secrètement cherchée. Pour moi, il est certain que l’Église va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu’il va rester à la fin : une Église, non du culte politique car celle-ci est déjà morte, mais une Église de la foi. Il est fort possible qu’elle n’ait plus le pouvoir dominant qu’elle avait jusqu’à maintenant, mais elle va vivre un renouveau et redevenir la maison des hommes, où ils trouveront la vie et l’espoir en la vie éternelle. » (1)
Jean-Pierre Roche, Novembre 2024.
- Joseph Ratzinger 1969, Emission de radio allemande, Faith and the future. Aleteia 15 juillet 2016 : Le jour où Joseph Ratzinger prédit l’avenir de l’Eglise.
BIBLIOGRAPHIE :
- Christof Théobald, Un nouveau concile qui ne dit pas son nom ?
- Sept Théologiennes : Se réformer ou mourir.
- Pape François : Paroles et réflexions sur la Synodalité.
- Isabelle Morel et al. : Clés pour une Eglise synodale. Petit manuel de la synodalité.
- Il a donné pouvoir à ses serviteurs. Cinq regards de femmes sur la gouvernance dans l’Eglise.
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(1) Jean-Pierre Roche est prêtre du diocèse de Créteil (Val-de-Marne). Théologien, il a publié aux Éditions de l’Atelier Prêtres laïcs, un couple à dépasser (1999) et La Spiritualité de la mission ouvrière, une chance pour les milieux populaires aujourd’hui ? (2011).